Les salles de cinéma cherchent un nouveau public
À l'occasion de la Nuit des Césars, vendredi 22 février, les cinémas indépendants expriment leur inquiétude après les offensives récentes menées par les grands groupes.
Depuis quelques mois, les mastodontes du septième art ont lancé une offensive contre certaines salles municipales : ces structures, en général non affiliées à un réseau, bénéficient de subventions des collectivités locales en appui du rôle social et culturel qu’elles jouent dans l’animation de zones non rentables pour le privé. À Montreuil (Seine-Saint-Denis), c’est l’expansion du Méliès, dont le nombre de salles doit passer de trois à six, qui a provoqué l’action en justice d’UGC, imité par MK2, les deux groupes étant désormais associés dans la carte d’abonnement illimité qu’ils proposent aux cinéphiles.
D’autres villes de France ont été le théâtre de cette guérilla judiciaire. « Nous agissons seulement lorsque l’extension de salles remet en cause l’équilibre de la concurrence dans des zones où notre présence ne fait pas défaut », justifie Alain Sussfeld, directeur général du groupe UGC. Il réclame une « règle du jeu claire, pour l’ensemble du secteur afin de connaître quelles subventions se justifient vraiment ». Dans ce contexte, le rapport de la commission Leclerc-Perraud sur les conditions de la concurrence, prévu pour la fin du mois, est très attendu. Les grands opérateurs de cinéma remettent en cause la part des subventions accordées par les collectivités locales, mais ils ne contestent pas le principe du fonds de soutien, financé par le Centre national de la cinématographie (CNC). Et pour cause, ils en bénéficient, eux aussi, au titre de la rénovation des salles.
"Il faut remettre à plat le système des subventions"
Il faut remettre à plat le système des subventions et les attribuer en fonction d’un cahier des charges précis », plaide Anne-Marie Faucon, fondatrice du réseau Utopia. Elle reproche à ses concurrents « municipaux » de proposer une programmation qui « fait le grand écart entre Astérix et l’art et essai » et de recueillir, par conséquent, des aides injustifiées. Contre toute attente, le réseau Utopia fait figure d’allié objectif des grands groupes, qui ne seraient pas mécontents que les films à fort potentiel commercial n’aient plus droit de cité dans les cinémas dits indépendants.
Autre enjeu majeur : les films d’art et essai dits « porteurs » (Woody Allen, les frères Coen, Pedro Almodovar, etc.), qui trouvent les faveurs d’un public plus âgé, dont la part croît sensiblement. Directrice du Grand Action à Paris, dans le très cinéphile Quartier latin, Isabelle Gibbal-Hardy le confirme : « La montée en puissance des salles municipales effraie les grands groupes qui s’intéressent du coup à l’art et essai “porteur”. Mon problème, c’est d’acquérir les copies de ces films.
En général, pour le Quartier latin, il y en a quatre. Deux sont automatiquement attribuées à l’UGC et au MK2 situés au carrefour de l’Odéon. Après on peut discuter. J’exige le film le jour de la sortie nationale, car il n’est pas question de me contenter des miettes. Mais, pour convaincre les distributeurs, je suis obligée de prendre des engagements commerciaux, de maintenir les films à l’affiche un certain temps. Et lorsqu’on me refuse un film, je brandis la menace du médiateur du cinéma (1)… »
"Les comportements culturels ont radicalement changé"
Un chiffre à mettre en relation, selon François Aymé, avec une autre donnée qui expliquerait le durcissement des positions : les salles, de tout type, affichent un taux moyen de remplissage de 15 %. « Or, les films continuent à sortir sur les écrans au rythme d’une quinzaine par semaine et les distributeurs privilégient les exploitants qui proposent un maximum de séances. »
Une vision purement commerciale qui néglige le travail d’animation et d’éducation des « petites » salles pour défendre une certaine vision de la cinéphilie. « Si la loi de la concurrence s’appliquait telle quelle, c’est 25 à 30 % des salles de cinéma françaises qui risqueraient de fermer, surtout en banlieue », redoute Rafael Maestro, directeur de l’association Ciné-Passion en Périgord. Avec une conséquence très concrète pour le public, « la nécessité de prendre sa voiture pour voir un film d’auteur en version originale ».
Chez les défenseurs de la pluralité du septième art, reposant sur un réseau de salles réparties sur l’ensemble de l’Hexagone, l’inquiétude actuelle se double d’une autre crainte : le passage au numérique. Une modification technique qui oblige les cinémas à s’équiper, dans la mesure où les distributeurs n’utiliseront bientôt que ce moyen de diffusion. « Il nous faudra passer par un “tiers opérateur” qui met à disposition, en le louant, le matériel nécessaire pour passer les films en numérique. Le groupe CGR a déjà trouvé le sien, annonçant qu’il aurait équipé ses 400 salles d’ici à la fin de l’année. Les autres attendent. Pour les petits cinémas, le seul moyen de résister sera de trouver un opérateur commun. » La bataille du septième art s’est déjà trouvé d’autres terrains de combat.
Bruno BOUVET et Sophie CONRARD
(1) Le rôle principal de Roch Olivier Maistre, conseiller à la Cour des comptes, est d’arbitrer les conflits entre exploitants et distributeurs, en ce qui concerne l’attribution des films aux salles.